Tandis que ses mains posent consciencieusement des œillets sur un rideau, Elodie Bouchendhomme accepte de se raconter. Coup d’œil dans le rétroviseur d’un artisan tapissier hors normes.

Petite, pour s’endormir, Élodie Bouchendhomme se berçait en imaginant qu’elle recousait les bords d’une plaie béante dans une banquette en similicuir comme il y en avait dans les trains. Elle n’avait pourtant jamais vu un tapissier exercer son métier et ne fréquentait pas particulièrement les transports en commun. Elle n’a jamais su d’où venait ce rêve mais aujourd’hui, c’est presque une réalité.

Il a pourtant fallu qu’elle s’accroche à son idée. En effet, à l’âge de choisir une orientation, elle aurait aimé suivre un parcours professionnel pour apprendre un métier manuel. Mais ses parents en décident autrement. Un bac général en poche, Élodie aurait aimé partir à l’institut Saint-Luc à Tournai, en Belgique. Nouvelle déception : le coût de l’internat l’oblige à fréquenter plutôt les bancs de la faculté d’arts plastiques à Tourcoing.

Alors qu’elle prépare sa licence, elle découvre, juste à côté du campus, une recyclerie. « C’était il y a 20 ans. Le concept était tout neuf, j’ai immédiatement adoré ». L’étudiante fait le forcing pour être recrutée comme bénévole dans la structure. « Ils ne voulaient pas. Ils ont tout fait pour me dégoûter. Ils m’ont même donné une commode Conforama à poncer. Ça n’a pas marché. Je suis un peu… « têtue ».  Ses yeux pétillent lorsqu’elle prononce le mot en réalisant qu’elle atténue sans aucun doute un peu la vérité.

Car en sortant de l’université, sa licence d’art en poche, Élodie Bouchendhomme voulait passer un CAP ébénisterie. Mais alors qu’en France on lui répond que c’est un métier de garçon, elle pousse enfin celles de Saint-Luc qui l’accepte en section ébénisterie. Deux ans plus tard, elle est même admise pour une année de spécialisation. C’est là qu’elle vit une révélation. « Lorsque j’ai touché cette grosse aiguille courbe, j’ai su que c’était ça que je voulais. Cette aiguille que j’utilise désormais au quotidien me reconnectait à mon rêve de petite fille. » La jeune femme se spécialise ainsi en « garnissage ».

Un apprentissage auprès des maitres de l’art

Avec passion et la même expression mutine, Élodie raconte comment elle a harcelé et littéralement couru après Xavier Bonnet, artisan tapissier et historien du siège pour décrocher un stage de fin de cycle auprès de lui ; comment elle a scrupuleusement noté le fruit de leurs recherches dans les sous-sols du château de Versailles au sujet des collections de garnissage qui s’accumule depuis trois siècles. Et comment, tous les jeudis, au côté de son maître, elle a fouillé les archives nationales pour montrer scientifiquement que les rideaux du château ne devaient pas être tenus par des embrasses mais être laissés droits… C’est ensuite en apprentissage auprès des tapissiers d’ameublement parisiens, Cousins associés puis des ateliers Jouffre à Lyon qu’elle décroche un CAP apprenant les gestes techniques auprès des meilleurs ouvriers de France. Diplômée, elle ne reste salariée qu’un temps, souhaitant mener de bout en bout ses propres projets plutôt que de se voir confier de « simples » tâches. « Je m’ennuie très vite. Et du coup, l’entreprenariat me va bien car, chaque jour, on doit relever de nouveaux défis. »

Pionnière dans une friche symbolique

Depuis 2011, de collectifs d’artistes en friches industrielles, elle fait un petit bout de chemin à Amiens. En 2022, elle obtient d’installer son atelier dans la friche de l’usine Cosserat, un lieu qui fait sens pour l’artisanat d’art. L’emménagement dans ce lieu riche d’histoire textile s’avère être une véritable aventure. Alors que les financeurs refusent de la suivre, Élodie Bouchendhomme suscite et bénéficie de la générosité d’hommes et de femmes qui croient en son projet. Jusqu’à la peinture intérieure de l’atelier. « Il me fallait des quantités énormes de peinture. J’ai lancé un appel aux dons. J’ai tout mélangé. Au pire, j’obtenais un marron. Finalement, j’ai obtenu cette teinte, couleur de solidarité », raconte-elle. Une verrière, composée des anciennes fenêtres du bâtiment qu’elle a récupérées, sépare l’espace atelier d’une boutique.

Un engagement au quotidien

Le nouveau lieu a complètement changé le regard des clients sur mon travail. Avant, beaucoup se contentaient de déposer leur siège et venaient les récupérer. Désormais, ils s’intéressent et posent des questions sur la garniture traditionnelle, sur les matériaux qu’on utilise. Car l’engagement d’Élodie se traduit aussi à travers les matériaux dont elle se sert pour regarnir les fauteuils, banquettes et canapés qu’on lui confie. « Nous utilisons une garniture en fibre naturelle qui provient des feuilles d’un palmier nain qui pousse au Maroc, le doum. Ces feuilles sont cultivées, cueillies et effilochées par des femmes. L’arbre en lui- même ne demande que peu d’eau et même si ce n’est pas local, c’est toujours mieux que de faire venir la matière du Sri Lanka par exemple. Et c’est un matériau durable. »

Des ateliers ouverts

Lorsqu’elle n’offre pas une seconde vie aux sièges, Élodie aime transmettre et partager. Elle anime donc des ateliers autour de la tapisserie et propose à des artisans de venir en animer eux aussi : aquarelle, bijoux… D’ailleurs, dans la boutique, certains exposent et vendent également leurs créations.

Élodie BOUCHENDHOMME
MAISON BOUCHENDHOMME
200 rue Maberly, 80000 Amiens
Tél – 06 79 71 27 12
[email protected]